Sarraute : Cette puissance d'envoûtement. Possession, conjuration, figuration
Anne-Élaine Cliche

Dans Enfance (1983), récit autobiographique qu'elle écrit à l'âge de quatre-vingt-trois ans, Nathalie Sarraute raconte, en fragments dialogués, des souvenirs qui se rapportent presque toujours à des paroles, à des mots qui ont déclenché en elle des effets puissants, corporels. La reconstruction des souvenirs se fait par bribes ordonnées de manière chronologique, mais surtout commentées immédiatement par la voix d'une conscience critique qui instaure un rythme, une scansion interdisant la fluidité illusoire de la mémoire. La narration est celle d'un sujet dédoublé, scindé, partagé entre un désir « d'évoquer [s]es souvenirs d'enfance » et la crainte « que ce soit fixé d'avance une fois pour toutes, du tout cuit, donné d'avance » (Sarraute, 1983, p. 7 et 9).

Le texte se construit donc dans une alternance entre la voix narratrice évoquant ses souvenirs et celle de l'écrivain, gardienne de ce qui échappe aux images et risque toujours d'être trahi par elles. Les souvenirs remontent par morceaux et trouvent dans cette double énonciation un dispositif de cadrage qui révèle, dès l'ouverture, le statut analytique ambivalent de cette écriture. Dans ce petit livre, il ne s'agit pas de tropismes, ces mouvements intérieurs clandestins dont l'écrivain a fait son matériau. Et la crainte qui s'énonce en ouverture provient justement de la tentation soudaine, tardive, d'écrire quelque chose qui, peut-être, ne tremblera pas assez et risquera de se laisser saisir, mettre en images avec trop de complaisance. Car c'est bien un interdit de représenter qui constitue en quelque sorte la loi de l'écriture sarrautienne et qui, pour une fois, appelle sa transgression. « Oui, et cette fois, on ne le croirait pas, mais c'est de toi que me vient l'impulsion, depuis un moment déjà tu me pousses… — Moi? — Oui, toi par tes objurgations, tes mises en garde… tu le fais surgir… tu m'y plonges… » (ibid., p. 9-10).

Ainsi, la mise en garde qui ouvre le livre — « Alors, tu vas vraiment faire ça ? Évoquer tes souvenirs d'enfance » —, prononcée par la loi intérieure de l'écrivain, fait revenir à la mémoire de la narratrice un autre interdit, très ancien, appartenant à la toute petite enfance ; un interdit transgressé lui aussi par une atteinte faite à la surface des choses. Ce « premier » souvenir d'enfance est celui d'un crime jamais sanctionné qui apparaît comme l'exacte figuration, pour ne pas dire la subjectivation, de ce dont l'enfant qui commet cet acte est l'objet : une pénétration, une déchirure, une blessure, une atteinte perpétrée par les mots, les paroles de l'Autre.

« Faire ça » désigne en ouverture l'évocation des souvenirs, mais surtout leur écriture; mais « faire ça », c'est-à-dire le livre que nous allons lire et qui se présente déjà en défaut dans ce commencement, reçoit un écho immédiat quelques lignes plus loin, alors que surgit le premier souvenir :

« Nein, das tust du nicht »… « Non, tu ne feras pas ça »… les voici de nouveau ces paroles, elles se sont ranimées, aussi vivantes, aussi actives qu'à ce moment, il y a si longtemps, où elles ont pénétré en moi, elles appuient, elles pèsent de toute leur puissance, de tout leur énorme poids… et sous leur pression quelque chose en moi d'aussi fort […] s'élève… les paroles qui sortent de ma bouche le portent, l'enfoncent là-bas… « Doch, Ich werde es tun. » « Si, je le ferai. » (ibid., p. 10)

Ce dialogue lointain remontant lentement à la mémoire met en scène la gouvernante suisse et la petite Natacha qui tient dans sa main de grands ciseaux dont la pointe est tendue « vers le dossier d'un canapé recouvert d'une délicieuse soie à ramage […] Ich werde es zerreissen » :

« Je vais le déchirer »… le mot « zerreissen » rend un son sifflant, féroce, dans une seconde quelque chose va se produire… ce sera une atteinte… un attentat… criminel […]. « Non, tu ne le feras pas… » dans ces mots un flot épais, lourd coule, ce qu'il charrie s'enfonce en moi pour écraser ce qui en moi remue, veut se dresser… […] Voilà, je me libère, l'excitation, l'exaltation tend mon bras, j'enfonce la pointe des ciseaux de toutes mes forces, la soie cède, se déchire, je fends le dossier de haut en bas et je regarde ce qui en sort… quelque chose de mou, de grisâtre s'échappe de la fente… (ibid., p. 11-13)

Là s'entend la réversibilité d'un enfoncement par moi en moi…

Il y a donc, à l'ouverture du livre à écrire, un principe d'enfoncement, de déchirure, une violence criminelle qui saccage la surface délicieuse et satinée du corps. Quel corps? Quel est ce corps à fendre, à marquer, à atteindre, dont le dossier ou la page sont les tenants lieux? Corps au devant de moi qui, pourtant, semble n'être que l'invagination d'un corps en moi, prisonnier, pulsant sa charge aimantée au-delà du miroir.

Enfance est pour ainsi dire le récit morcelé d'une sorte de névrose obsessionnelle infantile qui permet de donner corps fictif à la genèse d'une écriture qui sera d'abord écriture ensorcelée par des mots venus d'ailleurs et que la petite fille ne parvient pas à s'approprier. Sarraute écrit, parlant de son premier roman rédigé à l'encre rouge dans un cahier d'écolier :

[…] j'ai beau essayer, il n'y a rien à faire, [les mots] restent toujours pareils, leurs surfaces glissantes miroitent, scintillent, ils sont comme ensorcelés. À moi aussi un sort a été jeté, je suis envoûtée, je suis enfermée ici avec eux, dans ce roman, il m'est impossible d'en sortir…  (ibid., p. 88)

Elle sera libérée de l'ensorcellement par un oncle à qui elle accepte de montrer le cahier :

L'oncle ouvre le cahier à la première page… les lettres à l'encre rouge sont très gauchement tracées, les lignes montent et descendent… […] il a l'air mécontent… il referme le cahier, il me le rend et il dit : « Avant de se mettre à écrire un roman, il faut apprendre l'orthographe… » […] Et voilà que ces paroles magiques… […] rompent le charme et me délivrent. (ibid., p. 86-88)

Cette première écriture d'envoûtée, qui n'est pas sans liens avec les imagos de la mère écrivain (la brillance, le scintillement sont les termes qui, presque toujours, accompagnent les images de la mère dans ce livre), si elle ne correspond certainement pas à ce qu'est devenue l'écriture de Nathalie Sarraute, constitue malgré tout un temps inaugural dont on peut suivre un certain ressouvenir dans tous les textes de Sarraute, essentiellement occupés par le pouvoir toxique des mots.

L'enfance que raconte Sarraute semble en effet s'inscrire, au commencement, dans une rumination maniaque que l'abandon définitif de la mère viendra interrompre, mais qui restera gravée au cœur de son rapport au langage.

L'enfant, provisoirement élevée par une mère centrée sur elle-même, belle et indifférente, reçoit les paroles que celle-ci lui adresse comme des formules sacrées. Lors d'une des toutes premières séparations d'avec la mère qui l'envoie rejoindre le père à l'étranger, la petite est frappée comme par un charme (au sens magique) par la phrase suivante : « Tu dois mâcher les aliments jusqu'à ce qu'ils deviennent aussi liquides qu'une soupe… Surtout ne l'oublie pas quand tu seras là-bas sans moi ». La formule devient un impératif de rétention et de rumination des aliments qui seront mastiqués et gardés en bouche un temps considérable; l'injonction et son accomplissement agissant comme un substitut de la mère absente :

C'est la salle à manger des enfants où ils prennent leurs repas, sous la surveillance de leur bonne […] aucun effort de persuasion, aucune supplication ne pouvait m'inciter à ouvrir la bouche pour permettre qu'y soit déposé le morceau de nourriture impatiemment agité au bout d'une fourchette […] Quand je les desserre enfin pour laisser entrer ce morceau, je le pousse aussitôt dans ma joue déjà emplie, enflée, tendue… un garde-manger où il devra attendre que vienne son tour de passer entre mes dents pour y être mastiqué jusqu'à ce qu'il devienne aussi liquide qu'une soupe… [Maman] seule peut savoir ce qui me convient, elle seule peut distinguer ce qui est bon pour moi de ce qui est mauvais […]… je résiste… je tiens bon sur ce bout de terrain où j'ai hissé ses couleurs, où j'ai planté son drapeau […]. Si [ma mère] était avec moi, il y a longtemps que j'aurais pu n'y plus penser, avaler sans mâcher comme j'avais l'habitude de le faire. […] mais elle n'est pas ici, elle m'a fait emporter cela avec moi… « aussi liquide qu'une soupe »… c'est d'elle que je l'ai reçu… elle me l'a donné à garder, je dois le conserver pieusement, le préserver de toute atteinte. (ibid., p. 17)

Plus tard, vivant encore pour quelques mois avec sa mère, la petite fille entre dans une nouvelle phase d'obsession, cependant marquée par un certain développement puisque, cette fois, les formules incantatoires surgissent de l'intérieur et révèlent une ambivalence à l'égard de la mère. L'enfant est en effet envahie par toute une série d'idées obsédantes dont la mère est l'objet. Ces idées surviennent comme autant d'agressions qui attentent à l'image de la mère et dont le moi refuse de se reconnaître l'auteur. Par exemple, la fillette pense tout à coup, devant la beauté d'une poupée de coiffeur : « la poupée est plus belle que maman »; ou encore, à une autre occasion et tout aussi brusquement : « maman a la peau d'un singe »; ou bien, en observant sa mère servir le repas : « maman est avare ». Dans ce récit où elle dialogue avec elle-même pour reconstruire ses souvenirs, Sarraute raconte longuement les effets dévastateurs de ces surgissements impitoyables :

Maintenant cette idée s'est installée en moi, il ne dépend pas de ma volonté de la déloger. Je peux m'obliger à la repousser au second plan, à la remplacer par une autre idée, mais pour un temps seulement… elle est toujours là, blottie dans un coin, prête à tout moment à s'avancer, à tout écarter devant elle, à occuper toute la place… On dirait que de la repousser, de trop la comprimer augmente encore sa poussée. […]. Les idées arrivent n'importe quand, piquent, tiens, en voici une… et le dard minuscule s'enfonce, j'ai mal… […] Je veux essuyer ça, l'effacer… ce n'est pas vrai, je ne le crois pas… ce n‘est pas moi qui ai pensé ça. (ibid., p. 97-99; je souligne)

L'angoisse que suscite cette division intérieure laisse l'enfant désemparée, qui n'entrevoit d'issue à son mal que dans l'acte de transmettre, d'adresser ses « idées » à sa mère, dans l'espoir d'un secours, d'un apaisement ne pouvant venir que de sa parole à elle; une parole d'amour, sourde à l'agression, seule capable de rompre l'envoûtement. Mais la mère, justement, ne supporte pas une telle atteinte à son narcissisme. Elle accuse son enfant et la livre du coup sans défense aux idées : « Un terrain propice sur lequel [les idées] pouvaient faire tout ce qu'elles voulaient, elles s'ébattaient, s'appelaient entre elles et il en venait toujours d'autres… » (p. 100)

Dans Enfance, c'est la Mère qui vient au devant de l'atteinte, comme porteuse elle-même de petites lames qui sont autant de phrases où s'énoncent les noms obscurs de son désir, morceaux détachés du monde, qui viennent, dirait-on, s'enfoncer dans la chair de l'enfant, une chair qui est une surface d'inscription d'où le tranchant, à tout moment, semble devoir faire retour. L'image en miroir est ici insaisissable, car elle passe par un entre-deux qui la perd, l'effracte, la dissémine et la reprend, le temps de se repérer dans un jeu à trois où la parole, le mot, est une trace, un creusement, une fissure, un enfoncement. Si le désir, dans la mère, demeure irrepérable et la maintient « au-delà », préservée, « loin de toute comparaison » (ibid., p. 95), inatteignable, l'enfant se voit choir, expulsée de la scène où elle tentait de s'immiscer.

Comment la mère parle-t-elle, dans quelle langue, selon quelles lois? Il y a comme un hiatus entre son désir réservé, dérobé à l'enfant, et l'impératif d'une demande qui prend la forme d'un discours anonyme dont la mère se fait la gardienne. « Les mots qu'elle avait employés la masquaient » (ibid., p. 96) Chez Sarraute, les mots sont des incises, des brûlures, des traumas. Devant la vitrine du magasin où se trouve la « belle » poupée, quelque chose se produit dans l'enfant, un choc : « Je sens soudain comme une gène, une légère douleur… on dirait que quelque part en moi je me suis cognée contre quelque chose, quelque chose est venu me heurter… ça se dessine, ça prend forme… une forme très nette : Elle est plus belle que maman. » Cette phrase surgit comme une atteinte à la mère dans l'enfant, à la mère dont la beauté n'était pas une question puisque la Beauté en soi vient de surgir pour la première fois :

En tout cas, il m'apparaît maintenant clairement que je ne m'étais jamais demandé si maman était belle. Et je ne sais toujours pas ce qui m'a poussée ce jour-là à m'emparer de ce « Elle est belle » qui adhérait si parfaitement à cette poupée de coiffeur […] et à essayer de le faire tenir aussi sur la tête de maman. […] Maintenant que c'est en moi, il n'est pas question que je le lui cache, je ne peux pas à ce point m'écarter d'elle […] Je dois absolument m'ouvrir à elle, je vais lui montrer… comme je lui montre une écorchure, une écharde, une bosse… Regarde maman, ce que j'ai là, ce que je me suis fait… « Je trouve qu'elle est plus belle que toi »… et elle va se pencher, souffler dessus, tapoter […]… Mais maman lâche ma main, ou elle la tient moins fort, elle me regarde de son air mécontent et elle me dit : « Un enfant qui aime sa mère trouve que personne n'est plus beau qu'elle. » (ibid., p. 93-95)

Le vertige traumatique de l'idée est une double atteinte, à l'enfant et à la mère, et s'impose comme un impératif à dire comme pour voir jusqu'où le désir de la mère (dans tous les sens du terme) peut s'atteindre. Le souhait de l'enfant est que sa mère panse l'écorchure, autorise en la cautérisant cette jouissance d'elle. Mais la réponse de la mère est une déclaration où l'enfant ne se reconnaît pas; lieu commun, cliché, dogme qui étouffe dans l'enfant l'outrage. Mais plus encore, la parole de la mère est une demande qui exige l'abolition. La mère n'entend pas ce qui se dit sous les mots et entraîne par sa réponse toute faite une folie chez la petite fille, une sorte de sérialisation dans laquelle la mère est emportée. Sérialisation d'idées-appels devant lesquelles la mère n'a pas la force de rire, de tenir, livrant l'enfant à leur toute-puissance. Sans rempart, les idées parviennent à destituer la mère — « maman est avare », « maman ne traite pas bien Gacha [la domestique] », « maman n'est pas reconnaissante, maman est mesquine » (ibid., p. 102) — et seul le réel, le hasard, l'arbitraire peut brusquement la restaurer dans sa souveraineté : « ah quel bonheur… maman tout occupée de la conversation a pris deux morceaux tout à fait pareils à ceux qui restent dans le plat. J'ose regarder l'assiette de Gacha, j'exulte… l'idée vaincue s'éloigne… Je sens comme se répand en moi la douceur, la fraîcheur de l'apaisement… les autres fois aussi, maman ne pensait pas à ce qu'elle faisait. »

Le corps réel de la mère peut ainsi provisoirement faire taire les mots devenus fous dans lesquels l'enfant cherche sa propre consistance.

Un moi pas moi. La possession

Avec Sarraute, on apprend entre autres que l'expérience de l'écriture, comme celle de la vie d'ailleurs, débute par une agression venue du dehors. La notion d'envoûtement que propose ce dossier m'invite à relire l'œuvre de cet écrivain à travers l'écriture, la figuration recherchée de cette agression originaire, quelque chose comme l'envoûtement constitutif du sujet et de son rapport à l'autre. L'enfant, en effet, — tout enfant — rencontre d'abord le langage comme assignation identitaire que les mots de l'autre induisent en lui. La parole, les mots, sont d'abord au dehors, dans l'Autre, et reçus par l'enfant comme signifiants de sa valeur, de ce qu'il est pour autrui. Ce que Sarraute appelle tropismes, elle l'a souvent rappelé, ce sont les mouvements psychiques imperceptibles, inaccessibles à l'énoncé mais non pas au corps de la parole. Ils sont peut-être aussi, ces mouvements, les restes primaires des motions d'incorporation et de rejet, restes d'où nous parviennent encore les impératifs d'une existence aliénée à l'autre1. Tropisme signifie bien dépendance, mouvements clandestins commandés du dehors.

L'envoûtement nous situe d'emblée dans le registre de la contrainte et de l'aliénation. Penser ce phénomène au « principe du processus figural » m'apparaît particulièrement intéressant. L'envoûtement suppose un « autre » au sein même du moi; un dehors au dedans, ce prochain en moi-même agissant comme puissance hostile et maléfique, si ce n'est comme une causalité. Qu'est-ce que le moi? Le moi est corporel. Il n'est pas le sujet de la parole et de la connaissance, mais un objet libidinal narcissique. C'est du moins ce que la psychanalyse a mis au jour et d'où nous pouvons provisoirement penser cette notion d'envoûtement.

Passons rapidement par un mythe freudien : Au commencement, le nourrisson ne se distingue pas du monde extérieur d'où lui proviennent les excitations. Ce qui se révèle très tôt à son expérience, c'est que certaines excitations — plaisir, douleur — lui sont à tout moment accessibles, alors que d'autres se soustraient à sa portée et ne lui sont ramenées que par les cris. Dans les sensations qu'il retrouve à tout moment, il apprendra à reconnaître ses organes du corps. Dans celles qui lui échappent ou nécessitent un appel — dont les excitations provenant du corps maternel sont les plus chargées en intensité —, le nourrisson discerne bientôt un dehors. C'est dans cette épreuve différentielle de la proximité et de l'écart que le corps-moi éprouve sa limite d'avec le monde. Ainsi, le moi surgit dans le monde à partir du dehors et par la douleur.

Dans ce premier temps mythique de la rencontre avec le dehors, ce dehors est en effet inévitablement perçu comme source de déplaisir, agression, du fait de l'écart, du délai que le cri cherche à réduire. Ce dehors est chargé, perçu comme hostile. Freud va jusqu'à dire que, dans cette perception par laquelle le moi corporel émerge, l'extérieur — le dehors — est identique au mauvais et à l'étranger. (Freud/Kremer-Marietti, 1982, p. 227). Là se remarque le principe de plaisir dont la domination sans borne commande de supprimer et de jeter à l'extérieur douleur et déplaisir.

Le moi-réalité du début, qui a distingué intérieur et extérieur à l'aide d'un bon critère objectif, se transforme ainsi en un moi-plaisir purifié qui place le caractère de plaisir au-dessus de tout autre. Le monde extérieur se décompose pour le moi en une partie plaisir qu'il s'est incorporée, et un reste qui lui est étranger. Le moi a extrait de lui-même une partie intégrante, qu'il jette dans le monde extérieur et ressent comme hostile. (Freud, 1968, p. 37)

De cette découpe entre dedans/dehors émerge donc un moi-plaisir déduit d'un premier jugement qui, s'il s'énonçait, pourrait se dire ainsi : ce qui est bon, je l'incorpore, il est moi; ce qui est mauvais, je l'expulse, il n'est pas moi. Si les frontières de ce moi-plaisir primitif, on le devine, devront subir des rectifications imposées par l'expérience — parce qu'il est certain que de nombreuses excitations qui proviennent du dehors sont des sources de plaisir que l'on ne veut pas abandonner et que maintes douleurs et souffrances que l'on veut jeter au dehors restent inséparables du moi —, les vestiges de ce moi-plaisir n'en restent pas moins présents dans la vie psychique ultérieure et détermineront nos rapports au monde.

Ce qui ressort de ce mythe, c'est la portée remarquable d'aliénation et d'hostilité qui se traduit par l'opposition entre dedans et dehors, sans pour autant que la limite entre les deux s'effectue de manière simple. Le moi-plaisir, s'il est bien corporel, ne se superpose pas aux contours du corps réel; il n'est pas non plus une sphère close sur elle-même. C'est une corporalité par laquelle ce qui est exclu à l'intérieur du moi est projeté au dehors. Cette sortie au dedans est bien une corporalité qui inscrit une altérité à l'intérieur d'elle-même. Une extériorité interne. Seule la captation de son image au dehors permettra au moi de s'unifier par anticipation, jubilation, et dans le plus grand leurre.

Il y a donc deux scansions d'un même rythme au commencement, qui marquent aussi, il me semble, le temps de l'envoûtement : celui d'une captation, incorporation, aliénation qui est introjection du corps de la mère; et celui d'une abjection, projection au dehors de cette puissance aliénante quand ce n'est pas une puissance d'intoxication.

Le récit que fait Sarraute de l'enfant envahie par les idées obsédantes montre bien comment cette projection au dehors s'effectue dans le moi et apparaît au sujet comme une agression par un non-moi en moi.

Il est par ailleurs important de souligner que la fascination pour l'imago maternelle telle qu'elle est décrite dans Enfance rejoint tout à fait ce que Freud décrit dans les phénomènes d'hypnose collective comme une régression à un moi plus originaire où il se confondait avec l'omnipotence maternelle (Freud, 1981). À quatre-vingt-trois ans, Sarraute écrit, parlant de sa mère : « Jamais aucune parole, si puissamment lancée qu'elle fût, n'a eu en tombant en moi la force de percussion de certaines des siennes. ». (Sarraute, 1983, p. 27)

La dynamique de l'envoûtement telle qu'on la trouve dans les expériences de sorcellerie n'est pas différente de ce processus selon lequel ensorceler et désorceler procèdent aussi de cette réversibilité.

Le gant retourné. La conjuration

Dans l'univers des tropismes, tout est réversible. La faille qui s'ouvre dans l'adversaire et me signale sa faiblesse est aussi le lieu d'où surgit la menace. Or ce moi-corps troué est bien celui qui peut se trouver « pris » par les sorts. Dans son ouvrage déjà ancien et intitulé Les mots, la mort, les sorts, Jeanne Favret-Saada décrit les affaires de sorcellerie qui ont cours secrètement dans le Bocage de l'Ouest, en France (entre 1969 et 1972). Elle note, parlant de l'ensorcelé : « C'est comme si son corps et celui des siens, son domaine et l'ensemble de ses possessions constituaient une même et unique surface criblée de trous par où la violence du sorcier fait irruption à tout moment » (Favret-Saada, 1977, p. 24). Retourner l'agression à sa source constitue alors, en quelque sorte, l'acte même de désenvoûtement :

Je soutiens […] qu'une attaque de sorcellerie peut se résumer à ceci : une parole prononcée dans une situation de crise par celui qui sera plus tard désigné comme sorcier est interprétée après-coup comme ayant pris effet sur le corps et les biens de celui à qui elle s'adressait, lequel se dénommera de ce fait ensorcelé. Le désenvoûteur prend sur lui cette parole autrefois adressée à son client et la retourne à son émetteur initial, le sorcier. […] : en sorcellerie, l'acte, c'est le verbe. (ibid, p. 25)

Cet acte, Sarraute ne cesse d'en décrire les puissances dans ses romans. L'accent n'est pas mis sur les rapports entre les phrases, le contexte, mais sur la charge des mots, leur choc : à tout moment, un mot peut provoquer une crise, comme le raconte ce petit passage d'Entre la vie et la mort : « Des mots comme celui-là s'enfonçaient en moi. Ils me faisaient mal. Il fallait les extraire et les examiner. Ils révélaient un danger. Une présence inquiétante. Oui, certains mots. Ou certaines façons de les prononcer. » (Sarraute, 1996, p. 637)

Les mots sont, chez Sarraute, dotés d'un pouvoir qui arrive du dehors; ils pénètrent, se plantent dans l'épiderme et agissent tel un poison. Il y a dans cette figuration de la parole comme atteinte, blessure et possession une érotique indéniable.

C'est de là qu'il faut partir pour saisir cette puissance d'envoûtement que manifestent et ressentent les personnages de Sarraute aux prises avec une jouissance à faire reconnaître au dehors comme une identité en attente d'approbation. Si l'envoûtement par les mots est le signe et le signal de ces mouvements obscurs que sont les tropismes agissant dans la matière vibrante des romans, ces mots sont aussi propulsés, projetés au dehors par l'œuvre, l'écriture qui les reprend, les examine et les répète en une figuration/a-figuration qui fait sans doute la signature de Sarraute.

Mais c'est dans le théâtre que Sarraute semble parvenir, par le dialogue, à la mise en lumière la plus directe de cette pratique toujours réversible que constituent l'envoûtement et son appel à la conjuration. Dans le théâtre de Sarraute, l'emprise se déploie dans une réciprocité qui est théâtre de la spécularité en impasse. Théâtre du miroir.

Dans cette logique où parler est un combat, une lutte sans issue pour la reconnaissance, un jeu de renvois entre agression et défense, le mot adressé est une force qui attaque, comprime, s'enfonce dans la chair; il est aussi un piège dans lequel le sujet se voit capté, possédé par l'autre.

Les personnages du théâtre de Sarraute n'ont en effet pas d'autre identité que celle que leur confèrent les traits nécessaires à l'échange qu'ils soutiennent, traits que le locuteur présente au dehors, pour l'autre, dans l'attente d'une parole qui lui donne sa valeur et qui toujours suscite sa dépendance, son aliénation à l'égard d'autrui. Dans ces joutes, qui sont des montages en forme de litiges, la captation imaginaire opère comme une violence mortifère.

Dans son dernier livre intitulé Désorceler, Jeanne Favret-Saada revient sur son expérience dans le Bocage français et expose de manière cette fois très analytique les modalités du désorcellement qui consiste à retourner à l'envoyeur la violence et l'agression, même si c'est en niant lui vouloir le moindre mal :

Les ensorcelés se présentent comme des innocents accablés de malheurs répétés et incompréhensibles […] Ils sont honnêtes, travailleurs, serviables, bons chrétiens, ils ne veulent et ne font que le bien: pourquoi ne leur arrive-t-il que du mal […]. Puisque la caractéristique principale des ensorcelés est de n'avoir plus de force, l'objectif [du désorceleur] est de leur en redonner. [Tout désorceleur] sait bien où il faut aller chercher cette force : du côté de qui jouit d'un surplus de force, du côté de ce qu'incarne la figure du sorcier, c'est-à-dire du côté de la haine, de la violence, de l'agressivité. Mais bien sûr, si [le désorceleur] exposait cela à ces phobiques du mal que sont les ensorcelés et leur déclarait : « Vous voulez être forts? faites comme les sorciers, soyez mauvais, salauds, envieux », [il] recevrait des tomates. Son travail consiste donc à rebrancher les ensorcelés sur leur aptitude à la violence et au mal, mais malgré eux, […] sans jamais le leur dire explicitement, et sans exiger d'eux qu'ils le reconnaissent. (2009, p. 80-81)

Les rituels commandés par le désorceleur sont donc des « embrayeurs de violence » qui fonctionnent en miroir. Dans ce monde où le dehors, le non familier ou non familial est toujours potentiellement hostile, de nombreuses légendes qui alimentent l'imaginaire populaire racontent, en plusieurs versions d'une histoire toujours semblable, comment cette hostilité est retournée à l'envoyeur : l'ensorcelé est malade ou « pris de mort » et le procédé employé pour désorceler consiste à transpercer de mille épingles un cœur de bœuf ébouillanté. Une fois le rituel accompli, le sorcier accourt, « fou du mal d'épingles » et meurt tandis que l'ensorcelé reprend bientôt les « couleurs vermeilles de la santé » (ibid., p. 63)

Nous sommes là au principe de l'imaginaire tel que la psychanalyse et en particulier Lacan l'a dégagé. L'image surgit toujours en avance sur la perception du corps propre découpé par le moi-plaisir, en avance sur l'incoordination motrice; et cette assomption anticipée d'un moi-corps unifié à la surface continue est jubilatoire du fait de produire un corps « comme un » qui vient couvrir le morcellement ressenti. Assomption paradoxale : l'imaginaire produit le moi au dehors comme un autre. Scène dominée par l'agressivité où la dualité se formule en « ou toi, ou moi ».

On retrouve cette violence dans la rencontre entre les deux amis de Pour un oui ou pour un non :

H2 dit : « Je le savais, je l'ai toujours su. […] Su qu'entre nous il n'y a pas de conciliation possible. Pas de rémission… c'est un combat sans merci. Une lutte à mort. Oui, pour la survie. Il n'y a pas le choix. C'est toi ou moi. » (Sarraute, 1982, p. 44-45)

Devenir sujet. Défiguration, a-figuration et refiguration

Sarraute est l'écrivain de l'envoûtement imaginaire qui place le moi dans l'alternative du tout ou rien. Chaque scène est une scène duelle dans laquelle les locuteurs rencontrent l'urgence d'un ajustement à partir d'un jugement qui les met en devoir de répondre de leur différence. Différence insoutenable au regard de l'autre puisque, dans ce combat, il s'agit de deux camps ennemis qui s'affrontent et ne peuvent coexister sans s'anéantir. Dans ce théâtre, c'est toujours une jouissance qui réclame son droit à l'existence au regard de l'autre, sur le mode de la demande de reconnaissance ; registre imaginaire où le face-à-face produit à lui seul l'emprise. La violence en miroir demeure sans issue :

H1 : Tiens, moi aussi, puisque nous en sommes là, il y a des scènes dont je me souviens… il y en a une surtout… tu l'as peut-être oubliée… c'était du temps où nous faisions de l'alpinisme… dans le Dauphiné… on avait escaladé la barre des Écrins… tu te rappelles? […] Nous étions cinq : nous deux, deux copains et un guide. On était en train de redescendre… Et tout à coup tu t'es arrêté. Tu as stoppé toute la cordée. Et tu as dit, sur un ton… : « Si on s'arrêtait un instant pour regarder? Ça en vaut tout de même la peine… »

H2 : J'ai dit ça? J'ai osé?

H1 : Oui. Et tout le monde a été obligé de s'arrêter… Nous étions là, à attendre, piétinant et piaffant… pendant que tu « contemplais » […] Tu nous forçais à nous tenir devant ça, en arrêt, que nous le voulions ou non… Alors je n'ai pas pu résister. J'ai dit : « Allons, dépêchons, nous n'avons pas de temps à perdre… Tu pourras trouver en bas, chez la papetière, de jolies cartes postales… »

H2 : Ah oui. Je me souviens… J'ai eu envie de te tuer.

H1 : Et moi aussi.[…] D'un côté [il y a] le camp où je suis, celui où les hommes luttent, où ils donnent toutes leurs forces… ils créent la vie autour d'eux… pas celle que tu contemples […] mais la « vraie », celle où tous vivent. Et d'autre part… eh bien… […]

H2 : Je vais le dire pour toi… Eh bien, de l'autre côté il y a les « ratés » (ibid., p. 45-46)

L'espace est ici réglé par la symétrie et l'inversion, l'absorption de l'autre en moi ou la haine. Univers passionnel où les mirages de la complétude, l'envie, la terreur mortelle de l'abandon tiennent lieu de rapports (entre amis, entre père et fils, entre parents et enfants, entre générations, entre un seul et le groupe). Dans la mesure où ces litiges mettent en jeu l'être même du sujet confondu avec sa jouissance (un trait de sa jouissance : la contemplation vs l'action), amour et haine y sont des questions de vie ou de mort.

Mais c'est précisément de là, de cette scène d'aliénation, que s'accomplit l'écriture de Sarraute, et avec elle, la mise en lumière d'une sortie de l'image par la figuration. Le processus figural propre à l'écriture de Sarraute inscrit ces captations imaginaires dans un parcours où l'image en tant que telle est toujours niée, renvoyée qu'elle est au mouvement qui la fonde, la fabrique, l'historicise et la relance dans le circuit d'une diction qui agit par le rythme, la répétition, et déconstruit le visible au profit d'une révélation de l'usage de la parole comme fonction symbolique d'assomption.

Dans ce théâtre, envoûtement et conjuration fonctionnent réciproquement. Il s'agit de faire reconnaître à l'autre sa force mortifère.

On le comprend peut-être mieux, la véritable entreprise de désenvoûtement, au sens où l'entendait Artaud, la sortie de l'aliénation à l'autre, au-delà du pur et simple désorcellement, ne saurait se situer dans le renvoi de l'agressivité à l'envoyeur, mais bien plutôt dans l'assomption d'une énonciation enfin reconnue dans sa fonction symbolique qui oblige le sujet au Je plutôt qu'au moi.

Pourtant, cet envoûtement originaire est la condition du processus figural ; il est la condition de l'accès au dire et à sa symbolisation. C'est l'illusion de sa complétude dans l'image du miroir qui fait du moi le lieu enfin possible de l'énonciation et du sujet. Mais ce sujet n'apparaît pas dans l'image. Or toute l'œuvre de Sarraute met en exergue les pouvoirs magiques de l'énonciation, insaisissable dans la représentation et toujours sujette à dénégation.

Ainsi l'envoûtement premier, omniprésent, dont les personnages se font les réceptacles et les écrans de projection au point de ne se définir plus que par la place qu'ils occupent dans le corps à corps avec le verbe, suscite chez Sarraute une revanche qui consiste en la révélation du processus, la mise en lumière de ce conflit incessant entre le dit et le non-dit, le dehors et le dedans, la dynamique de ce qui passe entre les deux. Revanche prise sur un envoûtement non pas psychotique, mais trivial, universel, fondateur du sujet, et dont le sujet doit parvenir à se dégager pour entrer dans la parole créatrice.

En ce sens, le processus figural que constituent les tropismes ne saurait s'arrêter à la construction de l'image du moi comme l'éprouvent les « personnages » sarrautiens; ce processus, devenu fiction littéraire, échappe à la fixation parce qu'il est mise en scène du mouvement de l'énonciation, trace du sujet en cours.

Enfance ne raconte pas seulement l'enfance. Il tente de construire une scène à la mémoire d'avant l'histoire et invente ainsi une causalité à l'écriture. Si le corps de la Mère est ce terrain miné où les mots ne font jamais retour mais s'enfoncent dans la chair indécidable entre Elle et Moi, c'est pour dire que l'œuvre dessine hors du corps ce que, d'une certaine manière, le symptôme creuse, écrit, grave sur l'organe. Et le récit de l'apprentissage de la lettre qui, dans ce récit, passe par le Père — « lieu de vérité » (Sarraute, 1983, p. 45-46), lieu de la « parole vraie » (ibid., p. 26) avec qui le pacte secret se noue comme une trahison de la mère (au double sens de l'expression) —, construit une autobiographie qui est fonction d'une causalité à l'acte d'écrire. L'écriture de Sarraute, on le sait, ne cesse de faire apparaître ce que l'enfance n'a fait qu'apercevoir : Tropismes, affirme-t-elle, c'est-à-dire champ mouvant et fluctuant de l'Autre qui est son désir, sa cruauté, son exigence et sa demande. L'accession à la juste parole que, dans Enfance, le Père a pour rôle d'incarner — Idéal du Moi porté ici par le souvenir qui mythifie et « couvre » la part de violence symbolique — se fera dans l'invention, la création de mots-sensations dont le matériau premier est celui de la langue maternelle. Enfance raconte l'effort de la lettre pour accéder à la vérité, à la justice et à la Loi. Travail de l'élève appliquée qui clôt en quelque sorte le livre sans dire le travail ultérieur de retour que l'acte de l'écrivain — celui de Sarraute — met en œuvre. Car cette accession à la place du Père n'était pas le but et n'est pas non plus l'aboutissement. Il n'est sans doute que le moyen. De là, c'est encore à la jouissance de la Mère, jouissance interdite, inabordable, inaccessible, qu'il faut atteindre et que le tropisme a pour fonction de mettre en scène. Un champ de forces.

L'écriture est une profanation assumée qui ressemble à l'inceste, s'autorise de l'acte et cherche le corps perdu en sa béance brusquement révélée; corps à retrouver pour s'en faire, comme à rebours, la loi; ou par réverbération, la cause et l'effet : la signature.

Bibliographie

Favret-Saada, Jeanne. (1977), Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais ».

—. (2009), Désorceler, Paris, Éditions de l'Olivier, coll. « Penser/rêver ».

Freud, Sigmund (1968 [1915]), « Pulsions et destins des pulsions », Métapsychologie, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais ».

Kremer-Marietti, Angèle (1982), La symbolicité ou le problème de la symbolisation. Avec la traduction de l'article de Freud, « La (dé) négation » [1925], Paris, P.U.F.

Sarraute, Nathalie (1996), Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».

—. (1983), Enfance, Paris, Gallimard, coll. « Folio ».

—. (1982), Pour un oui ou pour un non, Paris, Gallimard, coll. « Folio théâtre ».

Notes de bas de page numériques:

1  Sarraute revendique elle-même le statut universel des « voix » qu'elle met en action. Dans un entretien fait à l'époque de L'Usage de la parole (1978), elle affirme : « Je reconnais volontiers le caractère autobiographique de mon œuvre, à condition, aussi, que vous me permettiez d'ajouter que nous nous ressemblons tous comme deux gouttes d'eau. » (Sarraute, 1996, p. 1934).