Présentation : L'envoûtement. Principes du processus figural
Bertrand Gervais, Mirella Vadean

La figure suscite l’envoûtement. Ce dossier part de cette constatation toute simple et entreprend de l’exploiter de la façon la plus exhaustive possible. Qu’entend-on par envoûtement? Comment opère une figure? Quels sont ses modes de constitution? Quels sont les fondements de son efficacité symbolique? La littérature, le cinéma et les arts ont exploité les ressources narratives et symboliques de la figure, non seulement par la voie de la rhétorique et des procédés de composition, mais aussi sur le plan de l’imaginaire. Les figures sont des objets de pensée, des signes complexes qui, s’ils se déploient de multiples façons, s’inscrivent de façon nécessaire dans une relation de projection, dont ils représentent la part la plus visible ou tangible.

Attrait, domination irrésistible, l’envoûtement marque le sujet, qui se révèle souvent impuissant face aux figures qui l’ensorcellent. Se laisser envoûter signifie pouvoir être touché. L’envoûtement, comme manière de penser la figure, de penser avec la figure, engage une épistémè singulière. Il implique de penser les relations d’appropriation et de projection d’une figure en fonction des affects et des passions qu’elle peut susciter et qui finissent par la définir. La figure, quand elle apparaît pour le sujet en tant qu’objet de désir, avoué ou redouté, s’impose comme une révolu-tion. C’est bien ce que dit l’envoûtement. Du radicalement nouveau apparaît au sujet, mais du nouveau qui semble avoir été composé explicitement à son attention et pour répondre à ses attentes. Il est difficile d’y résister. La figure ouvre l’être à ce qui le dépasse et le transcende.

Les quatre articles qui constituent ce dossier explorent des formes de l’envoûtement, les uns dans des textes littéraires, les autres en fonction du cinéma ou des mangas. On verra ainsi se décliner quelques modalités de l’envoûtement par le biais de l’analyse de figures diverses, allant de l’éphèbe aux figures littéralement défigurées d’un film d’animation ou tout simplement les figures stéréotypées des mangas et des animés japonais. Il y sera question de figures et de l’envoûtement qu’elles peuvent susciter, mais aussi, et de façon tout aussi importante, des rapports de lecture et de spectature que ces figures suscitent. Quel rapport au texte l’envoûtement figural implique-t-il? Le lecteur ou le spectateur reste-t-il indemne face à une figure ou subit-il lui aussi une forme de fascination et d’envoûtement? Et le critique? Prendre la mesure d’un texte ou d’un film, est-ce prendre la mesure des figures qu’il offre au regard, ou n’est-ce pas plutôt une façon tacite de céder à son charme? L’envoûtement dépasse-t-il l’espace artistique d’où il se donne à voir comme processus, pour se rendre maître aussi de la parole et du geste critique de cet espace?

Explorer les formes de l’envoûtement et du processus figural, c’est non seulement comprendre les mécanismes de la fascination, mais encore mettre en jeu les stratégies que prend un sujet lorsqu’il entreprend de se doter d’un objet d’étude et d’en explorer les limites.