Actualités sandiennes
Daniel Long
COMPTE RENDU DE :
Renée Joyal (dir.), George Sand toujours présente, Presses de l’Université du Québec, 2011.
De nombreux dix-neuviémistes ont l’impression de s’engager sur un terrain glissant en abordant l’œuvre sandienne, quand celle-ci ne constitue pas une pierre d’achoppement dans leurs études. Entre les qualifications d’écriture surannée et les verdicts sur la vision un peu simpliste des réalités sociopolitiques de son temps, la sempiternelle association de l’auteure au roman rustique en a conduit plusieurs à omettre sciemment ou involontairement les écrits de George Sand de leurs enquêtes, notamment des recherches sur la littérature romanesque sous le Second Empire. Pourtant, la « dame de Nohant » est à bien des égards consubstantielle à son époque, non seulement par sa participation active et prépondérante aux nombreux et vigoureux débats qui ont animé le XIXe siècle, mais par son maintien d’une esthétique romanesque qui allait continuer d’influencer certains jeunes romanciers après 1848. Et vu le nombre d’études auxquelles Sand a donné lieu depuis 1950, son œuvre serait toujours digne d’intérêt pour les lecteurs et les chercheurs d’aujourd’hui. C’est dans cette conjoncture que les Presses de l’Université du Québec ont fait paraître George Sand toujours présente, un recueil d’articles qui a pour objectif — tel que le révèle son titre — de récuser l’étiquette d’écrivaine désuète accolée à cette romancière.
Dirigé par Renée Joyal, professeure honoraire de droit à l’UQAM, cet ouvrage rassemble les études de six étudiantes inscrites au programme « Histoire, culture et société » de la Faculté des sciences humaines de cette même université. On convient d’entrée de jeu que ce recueil est publié « sans aucune prétention à l’analyse littéraire proprement dite, mais dans la perspective d’études de divers thèmes particulièrement parlants de l’œuvre romanesque de Sand » (p. 4). Cela dit, les sujets abordés dans les romans de George Sand seraient toujours d’actualité, « qu’il s’agisse d’environnement, d’égalité hommes-femmes, des rapports ville-campagne-nature, de justice sociale ou de relations amoureuses » (p. 5). Les six articles en question s’attaquent aux sujets suivants : le mariage en tant qu’« union de cœur, de corps et d’esprit » (p. 9) ; le processus de perfectionnement par lequel passent les personnages de Sand ; la présence discrète de réalisme dans les romans champêtres ; la valeur et la portée des mythes dans les romans Jeanne et Le Marquis de Villemer ; le lien entre la ville et la nature que créent la campagne et les jardins dans Isidora, Consuelo et Les Maîtres sonneurs ; enfin, le modèle de féminisme proposé par George Sand.
La préfacière Lise Bissonnette concède elle aussi que « les analyses du présent ouvrage ne sont pas à proprement parler littéraires. Elles sont des lectures, au sens plein du terme, des parcours de repérage d’un monde d’hier dont les thèmes se prolongent en notre temps où George Sand, comme le veut le titre, est ainsi toujours présente » (p. IX). Étant donné l’exposition un peu vague (dans l’Introduction) sur les raisons qui ont motivé la publication de George Sand toujours présente, il n’est pas aisé de reconnaître le public cible de ce livre. D’un côté, on souligne que les textes réunis ne constituent pas précisément des études littéraires, qu’il s’agit plutôt d’y présenter « divers angles d’analyse particulièrement porteurs dans une optique de sciences humaines et dans le cadre d’un programme entièrement voué au développement d’une culture générale » (p. 3). D’un autre côté, il est difficile de concevoir qu’un recueil de textes critiques sur l’œuvre romanesque de Sand ne soit pas destiné entre autres aux étudiants et aux professeurs-chercheurs en littérature. Si l’on en déduit que cet ouvrage s’adresse, de façon générale, aux étudiants en sciences humaines, cela soulève néanmoins une question capitale : dans quelle mesure peut-on établir que les romans de Sand sont toujours d’actualité sans examiner les composantes esthétiques qui auraient contribué à pérenniser ces œuvres ? Suffit-il d’affirmer que les thèmes abordés par Sand sont modernes et « de portée universelle » (p. 5), alors que d’autres contemporains qui ont traité de questions dites intemporelles sont plus ou moins tombés dans l’oubli ? En l’occurrence, comment les romans de Sand sont-ils parvenus à transcender les époques ?
Il apparaît assez clairement qu’il a fallu occulter par nécessité, dans les études rassemblées, certains aspects essentiels de l’écriture sandienne. Autrement, l’entreprise aurait été énorme, d’autant que le sujet circonscrit paraît singulièrement vaste. Démontrer que les écrits de Sand sont toujours actuels est un projet ambitieux, l’œuvre à étudier étant imposante et plus composite qu’on ne le prétend habituellement. Pour cette raison, il a été indispensable de réduire le corpus et la perspective d’analyse. Et le fait que seuls six textes ont été retenus pour publication a donné un volume assez mince qui ne saurait véritablement atteindre l’objectif global qui a été fixé dans l’Introduction. L’absence d’une conclusion générale constitue une autre faiblesse du recueil ; on ne s’est pas vraiment donné l’occasion d’illustrer de façon synthétique et plus probante, en s’appuyant sur les six articles, en quoi les romans de Sand intéressent sans aucun doute les lecteurs du XXIe siècle. Au demeurant, les articles réunis, quoiqu’ils réalisent des analyses pertinentes de certains thèmes, n’ouvrent pas précisément de nouvelle perspective sur l’œuvre sandienne : la plupart des questions qui y sont traitées ont déjà été cernées et approfondies. Notons également que l’éditeur aurait eu avantage à procéder à une révision linguistique plus rigoureuse du livre avant publication, afin d’éliminer les quelques approximations lexicales et maladresses stylistiques qu’on trouve dans certains textes. Tout compte fait, bien qu’une visée noble soit à l’origine de cette publication, George Sand toujours présente ne réussit malheureusement pas à présenter sous un éclairage inattendu l’œuvre de cette romancière importante.
Référence : Renée Joyal (dir.), George Sand toujours présente, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011, 151 p.